Quand les mots ne suffisent plus.
Comment se
peut-il que la langue de Goethe soit aussi celle de la barbarie nazie ?
A la fin de
la seconde guerre mondiale, de nombreux écrivains allemands, abasourdis par l’horreur des
charniers d’Auschwitz ou de Buchenwald cherchent dans l’écriture l’expiation de
ce pêché impardonnable. Comment décrire, par la même langue qui servit à
exterminer certains Juifs, la honte, le regret et la souffrance laissés par ce
passage unique et tragique de l’histoire européenne ? Il n’y a pas de
réponse certaine mais des tentatives et des expériences. Aucune langue ne peut
parvenir à décrire l’indicible.
De même qu’il
y eut plusieurs courants littéraires jalonnant la littérature allemande, il y
eut un « avant Auschwitz » et un « après Auschwitz ». Certains
auteurs, comme Heinrich Böll, ont cherché le salut dans une écriture aussi
sobre que dépouillée. D’autres, comme Paul Celan (d’origine juive) cherchèrent
à démonter, fabriquer, restructurer les mots pour arriver à une nouvelle
langue, loin de celle qui commit le génocide. Pour cet écrivain complexe, sa
langue maternelle était également celle des bourreaux : « Muttersprache
ist Mördersprache ».
Nos élèves n’ont
pas le vécu de ces écrivains, mais leurs émotions se sont manifestées à travers
leur regard parfois baigné de larmes. Ils ne peuvent certes prétendre détenir
les clés qui pourraient permettre à un peuple tout entier de faire son deuil
mais ils ont rendu un hommage vibrant à ces personnes mortes dans des
circonstances affreuses par la portée de leur silence.
Ce voyage à
Auschwitz restera marqué en leur mémoire, gravé sur la pierre de leurs
souvenirs lycéens. Ils reverront les objets, sentiront le froid glacial, entendront les témoignages, imagineront
ces cendres qui attestent qu’un jour, des hommes, des femmes et des enfants
périrent ici, au nom de la folie humaine.
Dans ce lieu
de culte si particulier, réunis autour du Kaddish, au milieu d’élèves issus de
l’immigration, nous ne vîmes en cette journée ni musulmans, ni juifs, ni
catholiques, mais une seule humanité priant pour le salut de ceux que nous ne
devons pas oublier.
Paul MAUDHUIT, professeur d'allemand